Reste d’hirondelle
Ulrike Draesner dramatise la langue allemande. En la décalant, la distordant, la court-circuitant, la pliant et dépliant. En la battant comme on bat un fer chaud, en lui faisant vomir les entrailles, saigner les plaies, lui mettant le couteau sous la gorge, lui appliquant le scalpel sur la peau. Mais aussi en la caressant, dans et contre le sens du poil. Parfois pointe le dialectal, le bavarois, qui procure le mot que l’allemand ne possède pas. Explosent donc les mots qui se recollent en morceaux inédits, permettant à la poète de tisser à sa manière l’imaginaire qui est le sien, avec souvent des mots forgés ad hoc, réutilisables nulle part ailleurs. Et il y a en même temps cet entrelacs : les mots de la science, de la médecine, par exemple, de la biotechnologie aussi, sont décortiqués avant d’être mis au contact avec ceux du corps ou de l’être en général. L’être au monde retrouve ainsi son unité que la perception du quotidien a tendance à lui dérober. S’y ajoute le détour par l’enfance, avec le babil qui, parce qu’il est le royaume des lettres manquantes, nous réapprend à lire les mots comme si nous les percevions pour la première fois. Reste d’hirondelle est un parcours poétique. Une première en France pour cette voix allemande des plus originales.